CHAPITRE XXV.

LES VAUDOIS RÉFUGIÉS EN SUISSE ET EN ALLEMAGNE RENTRENT À MAIN ARMÉE DANS LEUR PATRIE ET CONQUIÈRENT LA PAIX (1686-1690).

Leur arrivée à Genève. - Dissémination en Suisse. - Projet et première tentative de rentrer aux Vallées. - Offres de l'électeur de Brandebourg et des princes allemands. - Henri Arnaud. - Seconde tentative. - Départ des Vaudois pour le Brandebourg, le Palatinat et le Wurtemberg. - Retour en Suisse de la plupart d'entre eux. - Troisième tentative. - Les Vaudois, réunis dans le bois de Prangins, traversent le lac, - puis la Savoie; - battent un corps d'armée à Salabertrand ; - entrent victorieux dans leurs Vallées. - Difficulté de la situation, mesure cruelle. - Les Vaudois maîtres des hautes vallées, attaquent celle de Luserne. - Vainqueurs, puis repoussés. - Se retirent sur les hauteurs. - Désertions. - Forcés successivement se réfugient à la Balsille. - Attaqués en vain avant l'hiver. - Approvisionnement providentiel. - Souffrances. - Essai de négociation. - Attaque de la Balsille. - Siège. - Fuite merveilleuse. - Bonnes nouvelles. - La paix. - Retour des prisonniers. - Bobbi remis aux Vaudois. - Arnaud devant le duc. - Allocution de Victor-Amédée. - Vaudois au service du duc. - Retour des Vaudois épars dans leurs Vallées.


Deux mille six cents Vaudois, hommes, femmes et enfants, venaient d'entrer dans les murs de l'hospitalière Genève (1). Environ cent soixante en deux ou trois bandes les y avaient précédés l'automne précédente. Un nombre à peu près pareil, retardé par la maladie, l'enlèvement ou la prison, rejoignit peu à peu la masse qui, malgré ces renforts, ne monta jamais an chiffre de trois mille, faible résidu d'une population de quatorze à seize mille. Encore étaient-ils ou malades ou exténués de fatigue et de besoins, la plupart à peine protégés contre les rigueurs de l'hiver (2) par de vieux vêtements usés dans les prisons. Il y en eut qui trouvèrent la fin de leur vie au commencement de leur liberté, et qui expirèrent entre les deux portes de la ville ; mais, autant les plaies à panser étaient considérables, autant la charité genevoise se montra à la hauteur de cette noble tâche. La population courait au-devant des exilés jusqu'au pont de l'Arve, où était la frontière. Le magistrat dut défendre de sortir de la ville au-devant d'eux à cause des embarras qui résultaient de cet empressement. C'était à qui logerait un de ces chrétiens persécutés. Les plus malades, les plus souffrants étaient ceux qu'on cherchait de préférence (3). S'ils avaient de la peine à marcher, on les portait sur les bras dans les maisons. Leurs hôtes ainsi que l'administration de la bourse italienne pourvurent à l'habillement de tous. Si Genève fit tant pour les Vaudois, c'est qu'elle estima qu'elle recevait de la présence de ces martyrs, en bénédictions spirituelles, plus qu'elle ne leur donnait elle-même en secours temporels.

Une scène, qui se renouvelait toutes les fois qu'une nouvelle brigade d'exilés entrait en ville, fendait le coeur à ceux qui y assistaient, c'était la recherche que les premiers et les derniers arrivés faisaient de leurs parents; c'étaient les questions qu'ils s'adressaient et les réponses qu'ils recevaient sur le sort d'un père, d'une mère, d'un mari, d'une femme, de frères, de sœurs, d'enfants, qu'ils n'avaient pas revus depuis dix mois. On ne sait vraiment quelle réponse était la plus écrasante de celles-ci : Votre père est mort en prison, votre mari s'est fait papiste, votre enfant a été enlevé, ou, personne n'a plus entendu parler de celui que vous cherchez. Ce n'était donc pas seulement de pain, de vêtements et d'un asile qu'ils avaient besoin, ces enfants des Alpes, c'était aussi d'amis sincères qui pleurassent avec eux et qui les consolassent dans leurs afflictions.

S'ils trouvèrent à Genève des âmes compatissantes, ils en rencontrèrent aussi de nombreuses dans les villes et les campagnes de la Suisse protestante et de l'Allemagne, où la fraternité chrétienne les accueillit (4); car ils ne purent rester à Genève. Le traité conclu par les Cantons évangéliques avec le duc pour l'émigration des Vaudois spécifiait leur éloignement des frontières. Aussi, à mesure qu'ils se remettaient de leurs fatigues, ils étaient transportés dans le pays de Vaud et de là par Yverdon (5), par les lacs et les rivières dans l'intérieur de la Suisse,

Les Cantons évangéliques, Berne surtout, nourrissaient déjà des réfugiés français (6) par milliers. Ces victimes de la cruauté de Louis XIV étaient pour un quart, ou pour un tiers d'entre eux, assistés par la charité publique et particulière. Les Vaudois, dénués de tout, devenaient donc pour l'état et pour la population l'occasion d'un surcroît de dépense, une charge pesante. Mais de sages mesures avaient été prises. Berne, par exemple, avait fait ses préparatifs, dès l'instant que l'émigration avait été décidée. Cinq mille aunes de toile de lin d'Argovie avaient été réduites en chemises. Une égale quantité de drap de laine commune de l'Oberland avait servi à la confection de chauds vêtements. Des centaines de paires de souliers attendaient dans des dépôts. Les baillis, instruits à temps de la volonté de leurs excellences, avaient stimulé, s'il en était besoin, les sentiments généreux des administrations communales et des particuliers. Un nouveau jeûne, en février 1687, au moment où la plus grande masse des exilés entrait à Genève, avait préparé les coeurs par les inspirations de la religion. Une nouvelle collecte avait été faite en même temps. Les Suisses réformés reçurent à bras ouverts leurs frères du Piémont, comme ils venaient de recevoir ceux de la France, et avec plus de compassion encore, car les Vaudois en avaient plus besoin. Les Cantons évangéliques se les partagèrent dans une proportion déterminée d'avance entre eux. Zurich en prit trente sur cent; Bâle douze; Schaffhouse huit; Saint-Gall, Appenzel extérieur, les Grisons et Glaris en reçurent aussi. Berne se chargea de quarante-quatre sur cent, dont il plaça une partie à Bienne, à la Neuville et dans le comté de Neuchâtel.
La charité n'était sans doute pas égale partout. Avouons même qu'elle était contrainte en quelques endroits, étant provoquée par l'autorité. Quelques réfugiés piémontais se plaignirent. Tous ceux qui les employaient comme ouvriers ne les traitaient pas toujours convenablement. Il se peut cependant que la bonne réception qui leur avait été faite en certains lieux les eût rendus plus difficiles dans d'autres, et surtout que l'ennui, que le mal du pays, ne les disposât quelquefois à la mauvaise humeur ou au découragement. Cependant, la généralité des exilés se montra sensible et reconnaissante.

« Nous n'avons pas d'expressions assez fortes, écrivirent ceux d'entre eux qui partirent plus tard pour le Brandebourg, pour vous témoigner la reconnaissance que nous avons de vos bienfaits. Nos cœurs, pénétrés de toutes vos bontés, iront publier dans les climats reculés cette charité immense dont vous avez recréé nos entrailles et subvenu à tous nos besoins. Nous aurons soin d'en instruire nos enfants et les enfants de nos enfants, afin que toute notre postérité sache que, après Dieu, dont les grandes compassions nous ont empêchés d'être entièrement consumés, c'est à vous seuls que nous devons la vie et la liberté, (7). »

Pendant que les victimes d'une politique fanatique se reposaient sous le toit de l'hospitalité chrétienne, la question de leur avenir occupait activement leurs protecteurs de l'Allemagne, de la Hollande et de la Suisse (8). L'électeur de Brandebourg et plusieurs princes allemands leur ouvraient leurs états. L'on parlait en Hollande de leur faciliter une émigration en masse, au cap de Bonne-Espérance, ou en Amérique (9). L'écho de ces voix amies répétait leurs offres aux oreilles des Vaudois et remplissait leurs cœurs d'inquiétude. Quand, l'année auparavant, les députés suisses leur avaient proposé l'abandon de leur patrie, comme seul moyen d'échapper à de plus grands maux encore, une nombreuse partie d'entre eux s'y était énergiquement opposée. Ils n'y avaient consenti que lorsque, prisonniers depuis des mois dans les forteresses du Piémont, il ne leur était resté, outre l'apostasie, que ce moyen d'en sortir. Maintenant que les cachots et leur éloignement prolongé d'une patrie bien aimée ne la leur ont rendue que plus chère, ils éprouvent une angoisse infinie à la pensée qu'ils pourraient ne jamais la revoir et qu'on voudrait qu'ils y renonçassent à toujours. Assurément, ils rendent grâces à Dieu et bénissent leurs frères de leur avoir obtenu la liberté, de les avoir nourris et consolés, et de leur offrir encore des maisons et des champs. Mais les lieux où l'amour de Dieu et la charité chrétienne leur offrent des asiles ne peuvent prendre dans leur imagination la place du sol natal. La terre étrangère, quelque bienveillants qu'en soient les habitants qui consentent à la partager avec eux, ne saurait être pour eux la patrie, la terre de leurs pères. Ils ne peuvent oublier ces lieux, théâtre de leur enfance, que l'habitude de les voir avait pour ainsi dire identifiés à leur être, cette maison paternelle pleine des souvenirs les plus doux, l'ombrage de leurs figuiers et de leurs châtaigniers, les champs, les coteaux qu'ils ont cultivés, les montagnes majestueuses, aux gras pâturages, sur lesquelles ils ont mené paître les troupeaux; leur âme se complaît dans les images et dans les souvenirs qu'elle a emportés et qui ont doublé de prix à leurs yeux. O chrétiens de Suisse, d'Allemagne, de Hollande et d'Angleterre, bienfaiteurs des Vaudois ne vous irritez pas de cette apparente indifférence pour vos bienfaits, car vous avez aussi une patrie qui vous est chère. Et toi, Seigneur des cieux et de la terre, pourrais-tu désapprouver la préférence qu'ils donnent au pays où leurs ancêtres te restèrent fidèles dès les premiers âges de l'Église de ton Fils ? Leur désir de te servir encore sur le sol de la liberté chrétienne, au milieu des tombes des martyrs, leurs aïeux, et de replacer en ces lieux vénérables le flambeau de ton Évangile, pour que la lumière luise encore dans les ténèbres, pourrait-il ne t'être pas agréable? Que dis-je ? leur dessein même ne viendrait-il pas de toi ? Tu ne veux pas, sans doute, que le témoignage rendu à la vérité par les anciens Vaudois soit affaibli par l'éloignement définitif de leurs fils des contrées où ils te le rendirent.

Le désir des Vaudois de retourner dans leur patrie, bien qu'au fond de tous les cœurs, ne se transforma que successivement en projet, à mesure que l'on pût croire à la possibilité de sa réalisation. Le ministre Arnaud qui, dans la suite, fut le chef de l'entreprise, en fut peut-être l'âme dès son origine; mais, à la première nouvelle qu'on en eut, on l'attribua au zèle bouillant du héros de Rora, l'intrépide Janavel, retiré à Genève, depuis qu'une sentence de mort menaçait sa tête. Genève se croyant compromise vis-à-vis de la Savoie le bannit de ses murs (10). Il y revint bientôt après.

La première tentative des Vaudois de retourner dans les Vallées devait échouer à son début, tant elle fut faite à l'aventure, sans précautions, sans chefs et sans armes, pour ainsi dire. Ceux qui y prirent part arrivèrent tumultueusement de leurs cantonnements de Zurich, de Bâle, d'Argovie et de Neuchâtel, à Lausanne et dans les environs, vers la fin de juillet 1687, n'ayant pris aucune des mesures nécessaires pour une telle expédition. Leur nombre était d'ailleurs peu considérable, trois cent cinquante environ. Arrêtés par le bailli de Lausanne, à Ouchy, où ils cherchaient à s'embarquer, ils se soumirent, en gémissant, à l'ordre de retourner aux lieux d'où ils étaient venus. (Tiré des archives de Berne.)
Pour n'avoir pu réussir, les Vaudois n'abandonnèrent point leur dessein. Ils comprirent qu'ils s'y étaient mal pris, qu'il fallait mûrir un plan, faire des préparatifs, et procéder à l'exécution avec ensemble, en secret, sous la direction de leurs chefs. C'est ce qui eut lieu. Leur premier soin fut d'envoyer trois hommes (11) à la découverte des chemins détournés qu'on pourrait suivre pour retourner aux Vallées. ils devaient éviter les localités populeuses, suivre de préférence les hautes vallées et les cols élevés, passer les rivières vers leur source, puis, parvenus à leur destination, engager des amis à préparer secrètement du pain (12), et à le déposer dans des endroits convenus. Telles furent les principales directions et instructions qu'on leur donna.

Pendant que les trois espions s'acquittaient de leur mission au péril de leur vie, les Cantons, mécontents de la tentative des Vaudois qui pouvait les compromettre vis-à-vis du duc de Savoie, continuaient de précédentes négociations avec des princes allemands pour l'émigration de leurs hôtes devenus incommodes.
L'électeur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume, que son siècle a nommé le grand Électeur, prince dont les Vaudois, ainsi que les protestants français, béniront à jamais la mémoire, ne s'était pas contenté d'intercéder auprès du duc de Savoie, en faveur de ses coreligionnaires opprimés; il s'était montré prêt à recueillir une partie des débris de leur population, et avait écrit, pour des subsides en leur faveur, au prince d'Orange, aux États-Généraux de Hollande, à la ville de Brême, à l'électeur de Saxe ainsi qu'en Angleterre. Il ne s'agissait plus que de déterminer le chiffre des émigrants. Des deux mille six cent cinquante-six Vaudois, répartis dans les Cantons, l'électeur consentait à se charger d'environ deux mille. Les vieillards et les malades devaient rester en Suisse. Tels étaient les arrangements pris à Berlin, de concert avec le député des Cantons, le conseiller Holzhalb de Zurich. Mais les Vaudois, pleins du projet de retourner dans leur patrie, se montraient peu pressés de se rendre dans l'asile que leur offrait la charité du grand électeur à Stendal, dans le voisinage de l'Elbe, au nord de Magdebourg. Ils s'effrayaient de s'éloigner autant de leur ancienne patrie. Le climat et la langue les faisaient aussi hésiter. Des démarches faites par les Cantons évangéliques et par des délégués vaudois avaient aussi incliné les cœurs de l'électeur Palatin, du comte de Waldeck et du duc de Wurtemberg, à mettre des terres cultivables à la disposition des exilés des Vallées. Mais, bien qu'on fût parvenu au printemps de 1688, les Vaudois n'avaient pu se résoudre à se séparer et à s'établir dans leurs lointaines colonies.

« Il semble, que ces pauvres gens, disait Rémigius Mérian, résident de l'électeur de Brandebourg à Francfort, changent tous les jours de dessein et ne peuvent se décider à rien de fixe.... Ils soupirent toujours après leur pays et les leurs.... Ils abusent des faveurs que leur offrent les princes. » (DIETERICI, die Waldenser, etc., p. 145 et suiv.)

Obligés cependant par leur position de se prononcer, ils décident enfin qu'une partie d'entre eux, mille environ, se rendront dans le Brandebourg, mais que les autres se répartiront dans le Palatinat et dans le Wurtemberg, pour n'être pas trop éloignés des états de Savoie; car ils n'ont point oublié leur projet secret. Comment, quand les souvenirs religieux et l'exil vous rendent une patrie doublement chère, comment détourner les regards de dessus les montagnes lointaines qui la cachent? Les captifs, à Babylone, s'écriaient, eux aussi : Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite s'oublie elle-même. Que ma langue soit attachée à mon palais, si je ne me souviens de toi. (Ps. CXXXVII, v. 5, 6.)
Le chambellan de Bondelly était arrivé avec mission de conduire les mille Vaudois à leur destination. La mort de son maître, le grand électeur Frédéric-Guillaume, le protecteur des protestants sous la croix, ne mettait point obstacle au départ, Frédéric III, son successeur, ayant manifesté la volonté de recueillir l'héritage de charité que lui léguait son père.

D'un autre côté, les trois espions étaient de retour (13). Leur rapport sur l'état de leurs Vallées, habitées alors par des étrangers, et sur le chemin qu'on pourrait suivre pour y retourner, engagea les directeurs à tenir un conseil, dans lequel la résolution fut prise de faire une seconde tentative par le Valais, le grand et le petit Saint-Bernard et le mont Cenis. Bex, petite ville à l'extrémité méridionale de l'état de Berne (14), au pied des montagnes, près d'un pont sur le Rhône, fut choisie pour le lieu du rendez-vous. Le moment fixé fut la nuit du 9 au 10 juin 1688.
À la tête du mouvement était un homme dont le nom, qui a retenti au loin de son temps, passera à la postérité la plus reculée, un homme de paix et de guerre (15), humble ministre du Seigneur et chef d'armée, à la parole éloquente et diserte, nourrie de l'Écriture sainte quand il s'agissait d'instruire et d'exhorter, au langage onctueux et fervent, quand, à genoux, il priait le Père des miséricordes pour son Église humiliée, au ton bref et ferme lorsqu' il dirigeait la marche ou qu'il commandait dans la mêlée; cet homme était Arnaud. Né aux environs de Die, en Dauphiné, Henri Arnaud, l'un des pasteurs les plus estimés de l'Église vaudoise, au moment du désastre général de 1686, trop prudent et trop clairvoyant pour se livrer aux troupes du duc, s'était éloigné (16). Et quand le résidu du peuple, auquel il avait consacré sa vie, fut sorti de prison, il le rejoignit. Il séjourna à Neuchâtel avec une partie des siens. Son génie et son caractère résolu le désignèrent aux Vaudois, comme l'homme autour duquel ils devaient se grouper, comme l'âme vivante de leur peuple, comme leur chef, en un mot. Ce fut à lui, en effet, que la confiance générale remit le commandement de l'expédition, depuis longtemps projetée, et qui maintenant était en pleine exécution.

Les Vaudois les plus courageux avaient quitté leurs cantonnements et traversaient la Suisse, de nuit, par des chemins détournés, se rendant à Bex, rendez-vous général (17). Mais, quelque secrète que fût leur marche, elle ne put être cachée aux sénats de Zurich et de Berne, non plus qu'au conseil de Genève, qui apprit tout-à-coup que soixante Vaudois, qui servaient dans la garnison, venaient de déserter et d'entrer dans le pays de Vaud. Leur projet étant éventé échoua. Une barque chargée d'armes n'arriva point à Villeneuve où ils l'attendaient. Le bailli d'Aigle, prévenu par leurs excellences, dut se conformer à leurs ordres et arrêter l'expédition. Celle-ci eût d'ailleurs rencontré des obstacles insurmontables. Les Valaisans, d'accord avec les Savoyards, ayant au premier bruit occupé le pont de Saint-Maurice, la clef du passage, les uns et les autres, par leurs signaux, avaient mis tout le Chablais sur pied et le Valais sur ses gardes. L'ordre fatal de rebrousser chemin fut donné avec tous les ménagements de la charité aux six ou sept cents Vaudois, arrêtés dans leur route et réunis dans le temple de Bex, par le généreux Fr. Thormann, bailli ou gouverneur d'Aigle. Ce fut avec les larmes aux yeux qu'il les harangua, leur démontrant que leur projet étant éventé et leurs adversaires en armes, il serait téméraire de songer à passer outre, que leurs excellences ne le pourraient permettre sans être accusées de rompre les traités. Il rendait justice à leur zèle, et, pour incliner leurs cœurs à la patience et à la confiance en Dieu, au milieu de leurs épreuves, il leur rappelait que le Seigneur, qui est attentif aux requêtes de ses enfants et qui tient les temps dans sa main, saurait bien amener lui-même le moment favorable. Ce discours sensé et bienveillant ayant déjà un peu calmé les esprits, leur pasteur et chef, Arnaud, les soumit entièrement par une prédication sur ces touchantes paroles du Sauveur : Ne crains point, petit troupeau. (Luc, XII, v. 32.)

Les Vaudois dirigés sur Aigle, logés chez des particuliers, prirent congé, avec gratitude, de ce gouverneur humain, qui leur prêta encore 200 écus pour aider dans leur retour ceux qui habitaient aux extrémités de la Suisse. Ils sentirent surtout ce qu'ils lui devaient, lorsqu'il se virent repoussés de Vevey, où on leur refusa même des vivres, et qu'ils se virent traités avec sévérité, sur toute la route, par l'ordre des conseils de Berne, mécontents, on le conçoit bien, d'une expédition qui compromettait leur honneur, puisqu'on ne manquerait pas à Turin de les en croire complices. C'est ce qui arriva en effet, mais les Cantons se lavèrent parfaitement d'une telle imputation.
Quant aux expéditionnaires, relégués pendant quelque temps dans l'île de Bienne (Saint-Pierre), ils reçurent, deux mois plus tard, de l'assemblée des Cantons, l'ordre de reprendre la route du nord de la Suisse, de Zurich, de Schaffhouse, et d'accepter, malgré, l'opposition que plusieurs continuaient à montrer, les offres charitables des princes allemands. Plus de huit cents personnes, hommes, femmes et enfants, s'embarquèrent sur le Rhin pour se rendre dans les états de Brandebourg. Et tandis que le commandant français de Brissac faisait tirer sur leurs bateaux, Frédéric III leur préparait une cordiale réception. Une partie séparée de la ville de Stendal leur fut donnée pour habitation; d'abondants secours leur rendirent la vie facile. Il leur fut accordé, non-seulement d'avoir leurs propres pasteur et régent, mais encore leurs propres magistrats municipaux et juges. Huit cents Vaudois s'en furent, à leur tour, labourer et ensemencer les riches campagnes du Palatinat, que l'électeur, Philippe-Guillaume de Neubourg, avait mises à leur disposition. Sept cents s'établirent dans le Wurtemberg. Quelques centaines restèrent en Suisse, et en particulier dans les Grisons. Arnaud, après avoir présidé à cette dissémination qu'il ne pouvait que déplorer, partit, accompagné d'un capitaine vaudois (18), et s'en fut en Hollande consulter sur son projet secret le prince Guillaume d'Orange, qui était mieux que personne au courant des affaires et de la politique européenne. Ce prince qui devait, l'année suivante, monter sur le trône d'Angleterre, à la place du papiste Jacques II, encouragea le persévérant Arnaud, lui faisant espérer que les circonstances seraient bientôt favorables à son entreprise. Il lui conseilla, en attendant, de tenir les Vaudois aussi réunis que possible.

En effet, c'est à peine si quelques mois s'écoulent, et déjà les circonstances politiques favorisent l'accomplissement du projet d'Arnaud. La guerre éclate, l'Allemagne est envahie dans l'automne de 1688. La France couvre le Palatinat de ses soldats. Les Vaudois qui s'y trouvent, craignant ces Français qui leur ont fait tant de mal dans leurs Vallées, se retirent devant eux et reprennent le chemin de la Suisse. Une partie de ceux de Wurtemberg en font autant. Les Cantons évangéliques, touchés de leurs souffrances nouvelles, les accueillent avec bonté; Schaffhouse, surtout, dont ils empruntent le territoire. Bientôt on les dissémine dans leurs anciens logements, même dans les contrées de langue française, comme la Neuville et Neuchâtel. L'intercession de la Hollande ne fut peut-être point inutile, en ces jours-là, aux pauvres exilés, ballottés par les orages politiques, loin de leur patrie. M. de Convenant, député par les Etats-Généraux, suppliait les Cantons, au commencement de 1689, de continuer leur protection aux Vaudois jusqu'à ce que sa majesté britannique, Guillaume d'Orange (19), eût pourvu à leur établissement dans ses nouveaux états. Ainsi protégés, les enfants des Vallées attendent l'heure solennelle du départ, en gagnant honnêtement leur vie, par leur travail, la plupart chez des paysans. Partout on a rendu justice à leur activité et à leur probité. Le seul délit dont l'on ait accusé l'un d'entre eux, fut l'enlèvement d'un fusil, restitué plus tard.

L'aurore de la délivrance, si impatiemment attendue, parut enfin sur l'horizon politique, invitant les Vaudois au départ, à la rentrée à main armée dans leur patrie. La Savoie était dégarnie de troupes ; Victor-Amédée les avait retirées en Piémont, où il en avait besoin. La France, attaquée par l'empereur, par la Hollande, et bientôt, on pouvait le prévoir, par l'Angleterre, dont le prince Guillaume d'Orange occupait le trône, la France ayant à se défendre de tous côtés ne pouvait fournir des renforts au duc de Savoie contre les Vaudois qui, une fois dans les retraites de leurs montagnes, sauraient sans doute se défendre jusqu'au jour où leurs puissants protecteurs leur obtiendraient une capitulation honorable.

Rassurés sur le compte de leurs adversaires, il ne restait aux Vaudois qu'à se précautionner contre leurs amis, que la politique contraignait à mettre des obstacles à leur départ. l'entreprise était difficile assurément. Mais si l'on pouvait garder le secret, elle, n'était pas impossible. L'expérience de deux tentatives avortées enseigna le silence et une prudence consommée. Berne conçut cependant quelques soupçons, et donna des ordres à ses baillis de Chillon et d'Aigle, à celui de Nyon et à d'autres encore, pour le cas où les Vaudois tenteraient le passage comme l'année précédente. Berne fit aussi surveiller Arnaud qui résidait à Neuchâtel avec sa femme. Toutefois ce chef entreprenant prit si bien ses précautions, fit ses préparatifs, avec tant d'habileté, et donna des ordres si précis, que, malgré la surveillance de leurs excellences, il réussit parfaitement.
Le lieu de rassemblement, assigné aux Vaudois disséminés, était une assez vaste forêt, nommée bois de Prangins, et située au bord du lac Léman, dans le voisinage de la petite ville de Nyon, aux confins du territoire bernois (20). L'étendue de la forêt, sa position isolée le long du rivage, vis-à-vis de la côte savoyarde, qui n'en est distante que d'une lieue, l'avaient fait préférer à tout autre point. L'époque fixée pour le rendez-vous avait été également bien choisie. L'on avait profité de la solennité d'un jeûne général qui, retenant les populations dans les temples et dans l'intérieur des villages, détournerait les regards de dessus les voyageurs armés, et rendrait très-difficile la mise sur pied des milices de la contrée, au cas où l'autorité voudrait s'opposer au rassemblement ou à l'embarquement.

Le mouvement de plusieurs centaines d'hommes armés ne put être caché si bien que les baillis n'en reçussent avis (21).
Mais les soins que les bandes mirent à dérober leur marche dans les bois, et surtout à séjourner sur les terres écartées, du bailli de Morges, jusqu'au moment décisif, le soir du 16 août, qu'elles entrèrent inaperçues dans le bailliage de Nyon et dans le bois de Prangins, lorsqu'on les en croyait encore éloignées, puisque dans l'intervalle on s'était assuré quelles n'y étaient pas, de telles précautions déjouèrent les mesures que les baillis s'étaient hâtés de prendre. Tous les sujets de craintes n'étaient cependant pas écartés. À peine les principales brigades furent-elles arrivées sur le soir dans le bois de Nyon, qu'elles virent aborder de nombreux bateaux remplis de curieux qui voulaient s'assurer si les bruits en circulation avaient quelque fondement. Cette circonstance qui eût pu leur être fatale, qui les obligea même à s'embarquer plus tôt qu'ils n'avaient compté, avant que tous les leurs fussent arrivés, leur fut d'autre part très-avantageuse, en mettant à leur disposition de nombreux "moyens de transport dont ils manquaient.

Ce fut entre neuf et dix heures du soir, le 16 août 1689, le lendemain d'un jour de jeûne, que Henri Arnaud donna le signal du départ (22), en se jetant à genoux sur le rivage et en invoquant à haute voix le Dieu tout bon et tout puissant, qui, dans leurs détresses, était resté leur sauvegarde et leur espérance. Quinze bateaux démarrèrent portant sur leurs bords la majeure partie de la petite armée. Un coup de vent qui en écarta momentanément quelques-uns leur fit rencontrer un bateau de Genève qui leur amenait dix-huit des leurs. A peine arrivés au rivage opposé, les transports reprirent le large pour chercher ceux qui avaient dû attendre (23). Mais des quinze bateaux, trois seulement touchèrent encore dans la nuit au bois de Prangins et transportèrent un nouveau détachement sur la côte de Savoie (24). Les autres s'éclipsèrent. Par ce contre-temps, deux cents hommes restèrent sur la rive suisse. Il est à présumer que ce n'étaient pas les plus bouillants. Plusieurs d'entre eux n'étaient pas armés. Arnaud regretta aussi l'absence d'une vingtaine d'hommes qui, relâchés trop tard à Morges où on les avait arrêtés, ne purent rejoindre. Tous ces hommes du moins regagnèrent leur asile dans les Cantons. Mais la perte la plus déplorable fut celle de cent vingt-deux braves, venant des Grisons, de Saint-Gall et du Wurtemberg. Ils furent arrêtés dans les petits Cantons (papistes) sur la demande du comte de Govon, résident de Savoie, qui avait eu vent de leur voyage, et transférés dans les prisons de Turin d'où ils ne sortirent qu'à la paix. Les Vaudois domiciliés à Neuchâtel, partis le 16 seulement, manquèrent également au rendez-vous, ainsi que le capitaine Bourgeois (25) qui devait commander l'expédition (26).

Table des matières

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(1) C'est le nombre indiqué dans la lettre du 19-29 mars 1687, adressée de Suisse au marquis de Saint-Thomas, ministre du duc à Turin. Archives de Berne, onglet C.
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(2) Le voyage s'était fait en janvier et février 1687. Le duc n'avait vêtu que bien imparfaitement une faible partie d'entre eux.
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(3) Arnaud, dit: « Les Genevois s'entrebattaient à qui emmènerait chez soi les plus misérables. »
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(4) Un Vaudois, l'auteur de l'Histoire de la Persécution des Vallées du Piémont, imprimée à Rotterdam, en 1689, et auquel nous avons emprunté la plupart des détails précédents, exprime sa reconnaissance en ces termes : « C'est à l'égard des Vaudois aussi bien que des autres réfugiés que l'on peut dire que le pays de Suisse est un port assuré que la main de Dieu a formé pour garantir du naufrage ceux qui sont exposés aux flots de la persécution, »
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(5) M. Louis du Thon, à Yverdon, fut chargé par leurs excellences de Berne de pourvoir aux transports.
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(6) Il y avait parmi eux de nombreux Vaudois du Pragela, du Queyras et des autres vallées du haut Dauphiné.
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(7) Lettre du 26 juillet 1698, signée au nom des Vaudois recueillis dans le territoire de Lenzbourg, par Daniel Forneron et Jean Jalla. (Archives de Berne, onglet D.)
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(8) L'Angleterre gouvernée par un prince papiste, Jacques 11, qu'elle allait bientôt expulser, à cause de ses tentatives d'oppression religieuse, n'était point et ne pouvait pas être alors une protectrice efficace pour les Vaudois.
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(9) Lettre du pasteur Bilderdeck aux Vaudois. (Voir Vallées Pittoresques, par BEATTIE ; Londres et Paris, 1838, p. 118.)
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(10) Archives de Genève.
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(11) L'un de la vallée de Saint-Martin, l'autre du Queyras, le troisième de celle de Pragela. Le fait que, sur les trois, deux étaient français, des vallées voisines de celles de nos amis, nous montre que le nombre des protestants de ces vallées françaises de Pragela et du haut Dauphiné, qui avaient fui la persécution, était considérable. ils songeaient maintenant à s'établir dans les Vallées piémontaises.
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(12) Dans les hautes Alpes, le pain se fait une fois l'an. On le durcit, il devient comme de la pierre et se conserve comme du biscuit.
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(13) Ils avaient couru de grands dangers. On les avait arrêtés dans la Tarentaise. ils restèrent huit jours en prison ; mais ils eurent, enfin, le bonheur &être relâchés.
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(14) Elle fait aujourd'hui partie du canton de Vaud.
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(15) Ad utruinque paratus.
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(16) Il était présent au poste de Saint-Germain où deux cents Vaudois firent une si belle défense.
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(17) Le 5 mai, Joseph Monastère (Monastier ) était secouru par la commune de Château-d'Oex, où sa femme fit ses couches. (Archives de Château-d'Oex.)
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(18) Baptiste Besson, de Saint-Jean.
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(19) Le prince d'Orange passa en Angleterre, en novembre 1688, et fut couronné le 11 avril 1689.
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(20) Cette contrée fait partie actuellement du canton de Vaud.
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(21) Le 11 août 1689, au matin, le bailli de Lausanne, M. Sturler, fut averti que cent quatre-vingts Piémontais armés étaient arrivés à Vidy et s'y tenaient cachés en attendant de s'embarquer. Le major de Crousaz leur fut envoyé pour leur enjoindre de renoncer à leur entreprise et de s'en retourner chez eux. Le major fit retirer trois bateaux qui étaient déjà prêts. Les Piémontais furent irrités ; ils promirent toutefois de rebrousser chemin. - Le même bailli reçut à minuit la déposition de deux paysans de Romanel sur Lausanne, lesquels déclaraient qu'une troupe de cinq cents hommes, conduite par un officier à cheval, Marchant très-vite et en silence, avait passé près de leur village tirant du côté du lac. Il apprit par ses agents que quatre cents de ces voyageurs s'étaient embarqués sur des bateaux venus du côté de Genève. Le lendemain, il sut qu'ils s'étaient dirigés du côté de Nyon. Les autres avaient disparu.
À Morges, ville du bord du lac, à six heures de Nyon, c'est le 15 jour du jeûne, à l'heure du sermon du soir, c'est-à-dire, à une heure que le bailli de cette ville fut averti qu'un grand nombre de Plémontais se trouvaient dans les taillis au-dessous d'Allaman ; il monta aussitôt à cheval avec quelques personnes du lieu et fut s'assurer qu'il y avait là, en effet, environ trois cents hommes armés de bons fusils. Ils avouèrent l'intention de se rendre le soir au bois de Nyon. Le bailli en écrivit à celui de Nyon et voulut les arrêter, mais de cent qu'il crut avoir fait prisonniers il ne put en retenir que dix-sept. Non content de cet essai, il leva des milices et vint au bois de Nyon où il ne trouva personne. Il avait aussi fait séquestrer les bateaux.

Le bailli de Nyon, M. Steiger, qui, d'après les ordres qu'il avait reçus de Berne le mois précédent, avait défendu à tout batelier de conduire aucun Piémontais à Genève ou en Savoie, sous peine de la vie, fut averti, dès le 15 au soir, par le bailli de Morges, du mouvement qui s'effectuait.

Il mit un fort détachement de milices au pont de Promonthoux pour surveiller l'arrivée des détachements de Piémontais qu'on disait être dans un bois de châtaigniers sous Saint-Bonnet et Bursinel ou au bailli d'Allaman, et qu'on avait aussi aperçus près du gibet de Rolle. Cette garde fut renouvelée le lendemain, 16 août. On en mit aussi aux avenues du bois de Prangins. Le 15 au soir, puis surtout le 16, le bailli de Nyon fit avertir toutes les milices du bailliage, même celles de la montagne, avec ordre d'être le lendemain, 17 août, à cinq heures du matin sur la place d'armes de Nyon, pour aller de là faire prisonniers et désarmer tous les Piémontais qui se pourraient trouver dans le bois de chène (de Prangins). Mais, dans la nuit du 16 au 17, les Piémontais, connaissant les mesures prises, s'embarquèrent, quoiqu'ils ne fussent pas tous réunis.
Une lettre des syndics de Genève, du 15 août, annonce à leurs excellences que, la veille, soixante Vaudois étaient partis pour Nyon ou Lausanne, sur divers bateaux. ( Archives de Berne, onglet D. )
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(22) Que les voies de Dieu sont impénétrables et difficiles à sonder ! Comment, au milieu d'un tel mouvement en sens opposé, est-il arrivé que les Vaudois, si contrariés, soient partis en nombre le plus convenable, selon toute apparence ! .....
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(23) Au nombre de six à sept cents, si l'on s'en rapporte à la déclaration du secrétaire Baillival, qui venait de les surprendre et qui leur adressa force exhortations, reproches et menaces, pour les détourner de leur dessein. (Rapport du bailli de Nyon. Archives de Berne, onglet D.)
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(24) Un des bateliers de Nyon, le nommé Signat, natif de Tonneins en Guienne, homme zélé pour la religion et réfugié, fut laissé sur le sol savoyard par les autres bateliers, tandis qu'il prenait congé de ses amis des Vallées. Ce fut en vain qu'il courut sur le rivage appelant ses camarades, ils emmenèrent son bateau. «Viens avec nous, lui dirent ses nouveaux amis, nous te donnerons une bonne maison, au lieu de ton petit bateau ; » et il partit avec eux.
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(25) Le capitaine Bourgeois, d'Yverdon ou de Neuchâtel, officier de mérite, qui avait été prié par Arnaud de prendre le commandement de la petite armée vaudoise manqua au rendez-vous. Soupçonné de poltronnerie, il voulut se laver de cette injurieuse accusation et rejoindre Arnaud. Il rassembla mille Plémontais, Suisses et Français ( ceux-ci étaient les plus nombreux ), et passa le lac à Vevey, le 11 septembre de la même année. Il eut quelques succès en Chablais, mais il lui devint impossible de contenir sa troupe indisciplinée, qui se livra à la boisson et au pillage, au lieu de gagner du chemin. Parvenus en Faucigny, ils ne purent passer outre. Les troupes de Savoie gardaient tous les cols de montagne, tous les passages. Rejetés sur Genève et transportés sur le territoire suisse par des barques de cette ville, ils se dispersèrent. Le capitaine Bourgeois, arrêté par ordre de leurs excellences, fut condamné à mort, et eut la tête tranchée sur le port de Nyon, en mars 1690. « Il n'y eut pas d'yeux qui ne fussent baignés de larmes, sinon les siens, » dit un manuscrit. (Gruner, dans VULLIEMIN, Histoire de la Suisse, t. XIII.)
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(26) Les sources ou nous avons puisé, pour ce qui précède, sont : les archives de Berne, de Vaud et de Genève. - L'Histoire de la Rentrée des Vaudois, par Arnaud, dont il y a deux éditions, l'une très-rare de 1710, l'autre imprimée à Neuchâtel, en 1815. (DIETERICI, die Waldenser (les Vaudois). Berlin, 1831.)