Les Vaudois du Luberon

Mérindol: la petite Genève (1542)

les Vaudois du Luberon à Mérindol
Six ans ont passé. Henriet s’est fixé à Mérindol (Luberon) et tous les habitants du bourg (vaudois du Luberon) le considèrent et l’aiment comme un frère. C’est le soir et les hommes rentrent des champs; la journée a été chaude, ils sont heureux de se délasser un peu en causant sur la place du château de Mérindol pendant que les femmes apprêtent le souper. Le soleil se couche derrière les Alpilles, les ombres s’allongent sur le Luberon, et la Durance, gonflée par la fonte des neiges, semble un grand fleuve boueux.

– L’évêque va bientôt revenir, dit un homme âgé, il a promis de venir nous voir cette semaine et…
– Il doit être plutôt découragé, Monseigneur l’Évêque de Cavaillon, dit en plaisantant Jean Meynard, le fils du bailli (7). Il est venu la semaine dernière, vous le savez, avec un de ses conseillers, pour nous montrer les erreurs des Vaudois du Luberon et nous ramener au giron de l’Église catholique romaine, mais il n’a pas pu réfuter un seul article de notre Confession de Foi vaudoise.
– Et comment le pourrait-il, Jean? demande maître Jacques, le maître d’école. Cette Confession de Foi vaudoise est convaincante pour toute âme droite. Le Roi lui-même, notre Sire François Ier, a été fort touché lorsqu’il en a écouté la lecture. Chaque point de doctrine des Vaudois n’est-il pas appuyé sur la Parole de Dieu?
- Pourquoi donc, alors, demande André Pellenc, sommes-nous tous condamnés au feu et au massacre(8)?
– C’est justement, dit le maître d’école, parce qu’on ne peut pas nous convaincre, qu’on essaye de nous anéantir par un massacre. La Parole de Dieu remporte parmi nous trop de victoires pour que nos ennemis n’en soient pas exaspérés. Ne dit-on pas que le Conseiller de l’Évêque, venu avec lui la semaine passée, pour nous démontrer nos erreurs, a été convaincu en étudiant notre confession de foi?
– C’est exact, dit Jean Meynard, un parent à nous, domestique chez l’Évêque, a entendu la scène terrible que son maître a fait au pauvre conseiller.
– On appelle Mérindol « la petite Genève » des Vaudois du Luberon et cela n’est pas pour calmer nos ennemis.
– Ils sont exaspérés, dit Pomerin, le libraire, mais nous avons des protecteurs. Le Roi ne permettra pas qu’on massacre tout un village sans l’avoir entendu. Il y a encore une justice au Royaume de France!
- Oui, le Roi nous protège, mais il est hésitant. Nos ennemis nous calomnient auprès de lui et un jour, peut-être, obtiendront-ils de lui l’ordre d’exécuter le terrible arrêt de Mérindol qui nous voue à l’extermination.
- Il a écrit en notre faveur des lettres de grâce, dit Henriet.
- Oui, mais à condition que nous abjurions… plutôt mourir!
- Prions Dieu de nous garder fidèles, dit maître Jacques.
– L’évêque, l’évêque arrive, j’ai vu son carrosse sur la route de Cavaillon!

Les gamins, qui jouaient sur la place, en attendant l’heure de l’école(9), entourèrent leur camarade.
- Est-il loin?
- Tu es bien sûr que c’est lui?
- Allons à sa rencontre…
- Ah! non, par exemple! intervient un grand avec énergie, nous aurions l’air de lui rendre hommage… Attendons-le là, sans avoir l’air de rien. Gauthier, qui est allé faire le guet à l’entrée du chemin, revient en courant.
- Il arrive, il est descendu de carrosse et monte le sentier; un monsieur, avec une longue robe ornée de fourrure, l’accompagne. Quelques instants après, en effet, l’évêque, essoufflé par la montée, et son compagnon, un docteur en Sorbonne, arrivent sur la place. Le prélat, tirant sa bourse, s’approcha du groupe des enfants vaudois et leur remet à chacun une pièce de monnaie. Certains hésitent, étonnés, d’autres remercient spontanément, enchantés de l’aubaine.
- Apprenez, enfants, les prières catholiques, le Pater(10) et le Credo(11).
- Mais nous les savons, Monseigneur, dit Gauthier.
- Vraiment? dit l’évêque étonné. Mais vous ne les savez sans doute pas en latin.
- Au contraire, Monseigneur, dit Jehan, le premier de la classe, en se redressant. Maître Jacques nous les a apprises en latin.
- Mais, dit Gauthier modestement, nous ne pourrions les expliquer qu’en français.
- Vous n’avez pas besoin, enfants, d’être si savants.
- Mais à quoi servirait de proférer des paroles latines si l’on en ignore le sens et de répéter comme un perroquet le Pater et le Credo?

Une voix d’homme, grave et forte, a prononcé ces mots. L’évêque, irrité se retourne, et reconnaît André Meynard, le bailli du village, celui-là même qui a osé rédiger et signer la magnifique confession de foi des Vaudois du Luberon. L’évêque, visiblement contrarié par sa présence, lui répond un peu rudement :

- Et sais-tu toi-même le sens de ces prières?
- Je me croirais bien malheureux de l’ignorer, Monseigneur. Et le bailli se met à réciter, à traduire et à commenter : « Notre père, qui es aux cieux… »
- Je ne croyais pas, morbleu! qu’il y ait tant de docteurs à Mérindol!
- Le moindre d’entre nous vous en dirait autant que moi. Tenez, Monseigneur, interrogez ces enfants, vous verrez.
L’évêque, embarrassé, ne répond pas.
- Si vous le permettez, insiste André Meynard, l’un d’entre eux interrogera les autres. Viens ici, Jehan, place-toi devant tes camarades et interroge-les chacun à son tour. Jehan, enchanté de jouer le rôle de maître d’école, prit un petit air autoritaire :
- Paulon, qu’est-ce que la foi?
- Selon l’apôtre, dans Hébreux 11, « c’est une substance des choses qu’on doit espérer et une preuve de celles qu’on ne voit pas. »
- Et toi, Marquet, combien y a-t-il de sortes de foi?
- Deux. Savoir, la vivante et la morte.
- Qu’est-ce que la foi vivante?
- C’est celle qui opère par l’amour.
- Et toi, Louis et, qu’est-ce que la foi morte?
- Selon saint Jacques, la foi qui est sans œuvres est morte. La foi est nulle sans les œuvres. La foi morte c’est croire qu’il y a un Dieu et au lieu de croire en Dieu.

Peu à peu, la place s’est remplie de monde et tous les assistants écoutent, émerveillés, les enfants réciter le catéchisme des anciens Vaudois(12).

- Dis-moi, François par quel moyen l’homme peut-il arriver au salut?
- Par la foi. Saint Pierre disait : « voici, je mettrai en Sion la maîtresse pierre du coin, choisie et précieuse, celui qui croira en elle ne sera pas confus. » Et le Seigneur Jésus dit : « celui qui croit en moi a vie éternelle. »
- C’est bien, dit l’évêque se ressaisissant soudain.
- Il faut vraiment que je confesse ici, dit le compagnon de l’évêque, que j’ai été souvent en Sorbonne, à Paris, écouter des théologiens, mais que je n’ai jamais appris tant de bien qu’en écoutant ces enfants.
- N’avez-vous pas lu, dit Guillaume Armand, ce qui est écrit dans saint Matthieu? « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je te rends grâce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et les a révélées aux enfants. »


Notes

7. Maire.
8. Le parlement d’Aix, en effet, avait rendu un arrêt contre les vaudois en 1540, appelé « Arrêt de Mérindol », qui condamnait certains vaudois de ce bourg : « à être brûlés tous vifs », en outre, « toutes les maisons et bastides du lieu seront abattues, démolies et abrasées et ledit lieu rendu inhabitable ». Cet Arrêt de Mérindol a permis le triste massacre des Vaudois du Luberon en 1545
9. Dès 1542. Mérindol possédait une école évangélique des Vaudois du Luberon.
10. Prière enseignée par Jésus à ses disciples : « Notre Père qui es aux cieux… »
11. Confession de foi des chrétiens : « Je crois en Dieu le Père… ». Appelée aussi « Symbole des Apôtres ».
12. Un extrait de ce catéchisme des Vaudois est donné dans l’annexe I.


Vaudois du Luberon - Mérindol